Au sud, avec le père du tango moderne : Astor Piazzolla
Achevant son exploration des quatre points cardinaux, l’EML consacre son année 2024-2025 à la thématique « sud ». Concerts des professeurs et des élèves ponctueront ces prochains mois, faisant la part belle aux compositeurs de l’hémisphère sud, au tango et aux rythmes et sonorités latines … Sortez les éventails, il va faire chaud !
Cap sur l’Argentine avec ce premier article consacré à la thématique « sud » de l’EML cette année, et à un compositeur qui a marqué tant son pays que le monde entier avec son renouveau du tango.
Deuxième plus grand pays en superficie du continent sud-américain, derrière le Brésil, l’Argentine possède, au niveau culturel, tout un ensemble de rythmes indigènes hérités et mélangés avec ceux importés par les esclaves africains et les immigrants européens. L’art musical du pays est ainsi contrasté et multiple. Mais ce qui semble le plus caractériser l’Argentine à l’international est le tango, reconnu et déclaré Patrimoine culturel immatériel. Fruit d’un métissage entre les danses africaines du candombe et la milonga, donnant un rythme énergique mêlant guitare, tambours et flûte, le tango traditionnel est le résultat de modifications apportées par les immigrants européens, notamment italiens. On peut citer des transformations de rythme, de style, de paroles et des ajouts instrumentaux, comme le bandonéon (un instrument de musique à vent, à soufflet et à clavier, de la famille des instruments à anches libres, originaire d’Allemagne). Cette musique, qui servait essentiellement à accompagner la danse populaire argentine, est devenue au 20e siècle un phénomène mondial sous l’impulsion du compositeur Astor Piazzolla qui lui donnera ses lettres de noblesse en lui apportant des influences classiques et jazz.
Une enfance entre deux cultures
Né le 11 mars 1921 à Mar del Plata, au sud de Buenos Aires en Argentine, Astor Piazzolla est le fils d’immigrés italiens. Lorsqu’il a trois ans, ses parents décident de s’établir à New York où le jeune Astor passera une partie de son enfance. Mais la culture argentine reste fortement ancrée dans son environnement familial et, à ses neuf ans, son père lui offre un bandonéon, l’instrument traditionnel argentin, dont il apprend à jouer. En parallèle, grâce à son voisin, le pianiste Bela Wilda, il découvre la musique de Jean-Sébastien Bach qui le marquera durablement et lui donnera le goût pour la musique savante.
Adolescent, il s’intéresse peu au tango. Mais, retourné vivre en Argentine avec ses parents en 1936, il découvre, lors d’un concert du violoniste Elvino Vardaro, une autre manière de jouer de cette musique. C’est le coup de foudre. À 17 ans, il s’installe à Buenos Aires, avec une idée en tête : devenir bandonéoniste professionnel. Dans cette ville, les salles de bal se multiplient et offrent des opportunités aux orchestres. Piazzolla écrit des arrangements pour l’orchestre Anibal Troilo, l’un des meilleurs de l’époque, dans lequel il est engagé en tant que bandonéoniste. C’est en partie de là que naîtra son envie de devenir compositeur, même si à l’époque, il s’imagine plutôt en compositeur de musique classique.
Astor Piazzolla étudie la composition avec Alberto Ginastera et se forme, grâce à lui, à une solide culture néo-classique nationaliste (courant fondé dans les années 1920) qu’il introduit peu à peu dans le tango. En 1946, il crée son propre orchestre, orquesta tipica, dont la musique est influencée par Bartok, Stravinsky et Bach. Ses tangos aux formes complexes et aux harmonies dissonantes font parler de lui. Mais il est rejeté par les défenseurs du « vrai » tango – le public et les tangueros – et accusé de renier son patrimoine argentin.
Remportant un concours en 1953 grâce à sa Sinfonia Buenos Aires, qui inclut un bandonéon dans un cadre symphonique, Astor Piazzolla reçoit une bourse pour étudier à Paris.
Mêler le savant au populaire : l’essence du tango nuevo
Sa rencontre avec la pédagogue Nadia Boulanger va marquer un tournant dans le parcours d’Astor Piazzolla. À l’époque, celui-ci est à la recherche de son propre style et souhaite délaisser le tango pour se tourner vers la musique classique et se consacrer à une carrière de compositeur savante. Après l’avoir écouté jouer ses compositions classiques, puis celles de tango, Nadia Boulanger encourage Astor Piazzolla à poursuivre dans le tango, mais de l’utiliser comme un vivier d’idées, en l’enrichissant d’un langage contemporain : son propre langage. Pour l’Argentin, c’est la révélation.
De retour à Buenos Aires, Piazzolla explore ce mélange entre tango traditionnel et modernité qui produira ce qu’on connaît aujourd’hui sous le nom de « Tango nuevo ». Avec le fameux Octeto Buenos Aires, composé de jeunes et grands leaders d’orchestres de l’époque, il acquiert une renommée internationale. Dans cet ensemble, il mêle guitare électrique et chorus bebop aux sonorités plus traditionnelles. Il tente la fusion entre le tango et le jazz (qui échoue, et qu’il critiquera lui-même par la suite), la batterie, la polyrythmie, des blue notes. Il compose, enregistre et interprète. Sa musique se détache de plus en plus de la forme standard du tango populaire, ce qui est vivement reproché par certains « tangueros orthodoxes » qui lui reproche de ne pas faire du « vrai » tango. En raison de ses compositions révolutionnaires (au niveau musical), il échappera même à une tentative d’assassinat. D’autres au contraire apprécient son style d’avant-garde et le considèrent comme un génie.
Astor Piazzolla enregistre des tangos et milongas composés sur des poèmes de l’écrivain Jorge Luis Borges, s’associe avec le poète uruguayen Horacio Ferrer. Il compose reçoit des commandes d’écriture pour des musiques de films (Henri IV, L’Armée des douze singes), mais continue à avoir de nombreux détracteurs.
Le 5 août 1990, alors qu’il se trouve à Paris, il est victime d’une thrombose cérébrale qui le laissera paraplégique. Il meurt le 4 juillet 1992 à Buenos Aires.
Personnage unique du panthéon argentin, controversé de son vivant, il est désormais reconnu dans son pays comme le musicien le plus important de la seconde moitié du 20e siècle, qui a fait du tango un phénomène mondial. En son honneur, un astéroïde (12102) porte son nom.
Pour découvrir Astor Piazzolla en musique :
Libertango, composée en 1977 : Vidéos Bing
Adios Nonino : Vidéos Bing
Las cuatro estaciones porteñas (Compilado) Vidéos Bing
Pour aller plus loin :
Astor Piazzolla — Wikipédia (wikipedia.org)
Argentine — Wikipédia (wikipedia.org)
Astor Piazzolla, ou le tango de la révolution | France Musique (radiofrance.fr)
Astor Piazzolla, le renouveau du Tango (Culture Prime) : Vidéos Bing
PIAZZOLLA Astor : actualités, biographie, oeuvres du compositeur sur Radio Classique