Dans les premières années de vie du cinéma, l’idée de composer spécialement pour les œuvres du 7e art ne s’impose pas tout de suite comme une évidence. Dans un premier temps, on puise assez naturellement dans ce qui existe déjà pour accompagner les films. Un catalogue est même imaginé dans lequel chaque action et émotion serait associée à une ou plusieurs mélodies extraites du répertoire classique. Des ouvrages musicaux classent ainsi minutieusement les pièces classiques et les compositions originales pour une utilisation lors d’une projection de film. Il existe cependant quelques exceptions. Ainsi, les réalisateurs de L’Assassinat du duc de Guise, sorti en 1908, feront appel à Camille Saint-Saëns pour composer une musique originale pour ce film. C’est l’une des premières œuvres de l’histoire conçue spécialement à destination du cinéma. Mais dès les années 1930, la notion de musique originale de film se démocratise. On considère qu’elle ne joue plus simplement le rôle d’accompagnement sonore mais qu’elle apporte une dimension supplémentaire chargée de sens, une fonction expressive utile qui participe au récit en appui à la narration.
Depuis, de nombreuses musiques de film ont été hissées au rang de « musique culte », à jamais associées aux images qu’elles accompagnent. On peut citer en exemple les thèmes musicaux de Il était une fois dans l’Ouest, composés par Ennio Morricone, de James Bond, composé par Monty Norman et arrangé par John Barry, ou encore du thème The Imperial March de la franchise Star Wars, composé par John Williams. À l’écoute des premières notes de bandes originales, on reconnaît même immédiatement la « patte » de certains compositeurs qui possèdent une identité sonore unique.
Le travail du compositeur ou de la compositrice commence généralement par un visionnage du film. Cela lui permet de s’imprégner des images, de sentir l’atmosphère et de comprendre l’univers créés par le réalisateur ou la réalisatrice. Parfois, plus rarement, il ou elle commence déjà à travailler en se basant sur la lecture du scénario. C’est ainsi la manière dont fonctionnait Ennio Morricone (qui a notamment composé la bande originale du film Il était une fois en Amérique), qui enregistraitde temps en tempss ses musiques avant les tournages. L’univers sonore créé donnait ainsi le ton aux acteurs au moment d’incarner leur rôle.
Mais le travail du/de la compositeur·trice consiste surtout en une très bonne compréhension de la vision artistique du réalisateur ou de la réalisatrice, des émotions à transmettre et du rôle de la musique dans la narration. Jamais totalement libres, compositeurs et compositrices doivent en effet produire dans un cadre contraint par la durée des scènes, et développer des thèmes et motifs musicaux associés à un personnage, une situation, un décor ou un sentiment. Relativement court, ce motif doit être facilement mémorisable par le spectateur et faire sens dans la dramaturgie de manière efficace. Ces éléments thématiques sont ensuite « tissés » les uns avec les autres, au sein d’une vaste partition écrite sur-mesure à partir des images.
Chaque film est un projet unique. Parfois, la musique doit se faire discrète et simplement soutenir les images, comme dans les documentaires. Dans d'autres cas, elle est omniprésente et opère un pouvoir émotionnel sur le spectateur, au point de devenir un protagoniste à part entière (on pense notamment à la musique du film Indiana Jones, composée par John Williams).
À noter que l’alchimie est parfois si grande entre un/une compositeur·trice et un/une réalisateur·trice que les collaborations se multiplient et finissent par créer des duos mythiques. On pense notamment aux nombreux partenariats entre Tim Burton et Danny Elfman (Edward aux mains d’argent, Charlie et la Chocolaterie, Beetle Juice), Steven Spielberg et John Williams (E.T., l’extra-terrestre, Jurassic Park, La Liste de Schindler) ou Damien Chazelle et Justin Hurwitz (La La Land).
Une fois les idées musicales définies, place à la concrétisation. Aujourd’hui, de nombreux compositeurs travaillent avec des outils numériques, comme les stations audionumériques (DAW) et les bibliothèques de sons, pour créer des maquettes. Ces maquettes permettent de tester les idées avec le réalisateur ou la réalisatrice, et d’affiner les compositions.
Lorsque les morceaux sont validés, vient l’étape de l’enregistrement, souvent avec des musiciens ou un orchestre. C’est ici que le travail du/de la compositeur·trice s’apparente à celui d’un chef d’orchestre : il ou elle dirige les interprètes et veille à la synchronisation parfaite entre la musique et les images. Cette coordination exige une grande rigueur technique et une excellente compréhension des outils modernes, comme les logiciels de synchronisation et de montage.
Devenir compositeur ou compositrice de musique de film nécessite une formation à la fois artistique et technique. Une solide maîtrise des bases de la musique est essentielle : théorie, harmonie, orchestration, et bien sûr, composition. S’il est assez courant de vouloir lier musique de film et musique classique, les genres adoptés sont en réalité très divers. Le ou la compositrice de musique de film doit donc être capable de s’adapter à des styles musicaux très variés : orchestral, électronique, jazz, ou encore d’influences ethniques.
Passionné par la musique de film, le professeur Thierry Besançon, qui enseigne la batterie et les percussions à l’EML, a collaboré sur plusieurs courts-métrages pour composer leur musique. Ses recommandations aux jeunes musiciens qui rêveraient de devenir compositeur ou compositrice : « Déjà, je conseillerai d’apprendre à bien maîtriser un instrument quel qu’il soit. Et ensuite, de suivre des cours qui permettent d’apprendre à composer de manière générale. Et puis, pour ceux qui rêvent de travailler à l’international, une bonne maîtrise de l’anglais est absolument nécessaire ».
En Suisse, quelques établissements proposent des cursus offrant des programmes de composition, parfois orientés vers la musique de film : l’HEMU (Haute École de Musique Vaud Valais Fribourg) ou la Zürcher Hochschule der Künste (ZHdK). Ces formations incluent souvent des cours sur la musique appliquée à l’image, l’analyse de partitions célèbres et l’utilisation des technologies numériques.
Mais pour Thierry Besançon, le cinéma en Suisse bénéficie encore de peu de moyens en comparaison avec certains pays d’Europe ou les Etats-Unis. Il conseillerait ainsi de viser des formations à l’étranger qui permettront de s’insérer dans des productions cinématographiques étrangères. Les écoles spécialisées comme la Berklee College of Music, à Boston, ou le Royal College of Music, à Londres, proposent par exemple des cursus en musique de film. Elles offrent l’opportunité de travailler avec des professionnels de l’industrie et de construire un réseau international.
Mais au-delà des études, l’expérience pratique est essentielle. Participer à des courts-métrages étudiants, collaborer avec des réalisateurs indépendants ou proposer des compositions pour des publicités sont autant de moyens de se forger un portfolio solide.
Devenir compositeur ou compositrice de musique de film, c’est entrer dans un univers exigeant mais passionnant. Dans ce métier, curiosité et ouverture d’esprit sont indispensables. Chaque projet est une nouvelle aventure, une nouvelle histoire à raconter à travers les notes de musique. Pour les compositeurs, il ne s’agit pas seulement d’écrire de la musique, mais de devenir des conteurs sonores, capables de transformer les émotions en mélodies inoubliables.
Avec le développement des plateformes de streaming et la multiplication des productions audiovisuelles, le besoin de musiques originales ne cesse de croître. Ainsi, pour les compositeurs en herbe, les opportunités sont nombreuses, à condition de s’armer de persévérance, de créativité et d’une bonne dose de passion.
https://mediaclip.ina.fr/fr/i19004018-ennio-morricone-la-composition-avant-le-tournage-des-films.html https://fr.wikipedia.org/wiki/L'Assassinat_du_duc_de_Guise_(film,_1908) https://accordissimo.com/notes-de-musicien/la-musique-de-film-en-6-points-cles/ https://www.cinezik.org/infos/affinfo.php?titre0=20080507101904